Société Mycologique du Haut-Rhin |
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Par J.J.Sanglier
L'histoire de la découverte de la pénicilline par Alexander Fleming est la plus connue des découvertes accidentelles. Beaucoup a été écrit à ce sujet, parfois à la limite de l'affabulation.
Plusieurs faits importants sont à mettre en évidence: avant Fleming divers chercheurs avaient décrit des phénomènes d'antibiose, Fleming avait découvert le lyzozyme avant la pénicilline, ce sont d'autres chercheurs qui ont effectué les travaux essentiels pour la purification chimique et le développement thérapeutique de la pénicilline.
Il existe des documents indiquant que dans l'Antiquité, pour soigner des infections, les Egyptiens et les Romains utilisaient des champignons se développant sur le pain. Les Chinois, il y a 3000 ans, semblent avoir utilisé des graines de soya infectées par des champignons pour traiter des infections cutanées. Des indications sur l'utilisation de champignons comme agents thérapeutiques se retrouvent dans le Talmud et dans plusieurs livres de médecine populaire en Europe et en Amérique, par exemple dans celui de J.Parkinson (1760). Bien sûr, il existe tant de moisissures poussant sur le pain ou les grains, et la plupart produisent d'ailleurs des mycotoxines qu'il n'est pas possible de tirer des conclusions scientifiques. Le vrai point de départ est la culture en laboratoire de microbes vers 1870. A partir de cette date, diverses observations sur les propriétés antibiotiques de micromycètes, en particulier d'espèces du genre Penicillium, et de bactéries se poursuivent. J.B. Sanderson obverve à cette époque l'activité antibiotique de certains Penicillium. En 1871, J.Lister, un chirurgien, nota aussi ce phénomène et utilisa des préparations de Penicillium glaucum mais se trouva confronté à l'instabilité du principe actif. W. Roberts, en 1874, décrit également le pouvoir antagoniste de certains champignons contre des bactéries. Peu après, Pasteur et Joubert observent l'inhibition du bacille de l'anthrax par des bactéries non identifiées. J. Tyndall remarque les effets antagonistes réciproques des bactéries et des champignons. Cantoni en 1885 formula l'idée d'utiliser ce phénomène d'antibiose comme voie thérapeutique. Quatre ans plus tard le mycologue francais Vuillemin utilise pour la première fois le terme "antibiose" dont la définition moderne est ensuite donnée par M. Ward en 1899 (antagonisme d'un microorganisme contre un ou plusieurs autres). Durant les années suivantes, plusieurs essais cliniques furent effectués avec des bactéries, comme des lactobacilles pour combattre des pathogènes intestinaux. A partir d'une culture de Penicillium, B. Gosio isole, en 1896, une substance d'une souche de Penicillium, qui sera plus tard déterminée comme étant l'acide mycophénolique, mais l'activité antibiotique de ce composé se révèle faible. L'année suivante le Francais E. Duchesne décrit, dans sa thèse de doctorat, l'atténuation chez l'animal d'infections expérimentales de bactéries coliformes et typhoidiques par l'inoculation simultanée de Penicillium glaucum. Ce visionnaire emploie pour la première fois le terme pénicilline mais en latin et déclare que "grâce à des études plus poussées, on arrivera à la découverte d'autres faits directement utiles et applicables à l'hygiène prophylactique et à la thérapie". Hélas, comme Lister, Duchesne ne publie pas ses résultats dans une revue scientifique. En 1899, R. Emmerich, professeur d'hygiène à l'université de Munich, développe une préparation, à partir de Pseudomonas pyocyanea, dénommée pyocyanase qui sera l'objet de plusieurs essais cliniques avant sa mise en vente pendant plusieurs années. Mais est-ce le produit bactérien ou l'agent de conservation, le phénol, qui fut réellement actif? Tartakovskii, en 1903, puis A. Surli notent l'effet inhibiteur d'extraits de Penicillium glaucum sur certains bacilles. Vaudramer, en 1912, montre que l'Aspergillus fumigatus peut inhiber la croissance du "bacille" de la tuberculose et proclame avoir traité deux cents tuberculeux, mais probablement avec un taux de succès très variable et l'application de sa méthode ne fut jamais étendue. En 1913, Alsberg et Black isolent l'acide pénicillinique de P. puberulum, inhibiteur de "Bacterium coli". Cette longue liste n'est pas exhaustive mais montre l'intérêt porté par plusieurs scientifiques sur la possible utilisation de microbes pour combattre des germes pathogènes. Hélas, ces recherches ne furent pas intensément poursuivies et demeurèrent peu documentées. Le potentiel de l'antibiose n'avait pas encore été exploité. Si P. glaucum est rapporté dans la plupart des observations sur l'effet antibiotique de micromycètes, il est probable toutefois qu'il s'agisse de souches appartenant à diverses espèces de ce genre. Parallèlement, des efforts se sont poursuivis pour découvrir des produits chimiques actifs contre des germes pathogènes. En 1891, P. Ehrlich, un chimiste allemand, démontre l'activité du bleu de méthylène sur l'agent de la malaria mais le produit n'offre pas d'avantage par rapport à la quinine. Le bactériologiste Thomas décrit, au début de ce siècle, l'efficacité de l'atroxyle (arsélinate de sodium) sur les trypanosomes. Un jeune chercheur japonais, Hata, dans le laboratoire d'Ehrlich, découvre en 1909 l'action du salvarane contre les Treponema (notamment agents de la syphilis). Jusqu'en 1932, peu de progrès sont effectués en chimiothérapie.
A partir de 1920, la situation dans le combat des maladies infectieuses piétine. A l'exception de la quinine contre la malaria et des dérivés arséniques pour la syphilis et la maladie du sommeil, la chimiothérapie ne se révèle guère prometteuse car les produits se montrent trop toxiques. Si l'antibiose a suggéré une utilisation de substances naturelles pour combattre des germes pathogènes, son application est confrontée aux difficultés d'extraction des substances actives et à l'instabilité de plusieurs d'entre elles.
Sir A. Whright, du St Mary's Hospital de Londres, fut une des figures les plus marquantes de la recherche médicale des années 1920 et il servit même de prototype au héros de la pièce de G.B. Shaw "The Doctor's dilemna". Son objectif principal était de trouver des voies renforcant nos défenses propres contre les infections. Il recut le support de plusieurs jeunes scientifiques dont L. Colebrook et A. Fleming (1881-1955).
A. Fleming est né à Ayrshire, dans la campagne écossaise, en 1881. A. Fleming n'a que sept ans quand son père meurt, laissant sa femme seule pour s'occuper de la ferme et des quatre enfants. A seize ans, il va à Londres rejoindre son frère ainé, commence des études à l'école polytechnique mais doit les arrêter faute de moyens. Il travaille un certain temps dans une compagnie d'expédition. Quelques années plus tard, à la suite d'un petit héritage, son frère l'encourage à entreprendre des études de médecine. Son choix se porte sur le St.Mary's Hospital qu'il connaissait pour avoir joué avec une équipe écossaise au water polo contre l'équipe de cet hôpital. Il voulut tout d'abord devenir chirurgien mais après avoir obtenu son diplôme de médecine, il se voit offrir un poste dans le laboratoire de Whright. Il travaillera dans ce laboratoire jusqu'à la fin de sa carrière, devenant professeur de bactériologie en 1929. Il se trouve donc dans un environnement idéal.
En 1922, Fleming découvre par hasard, dans les sécrétions nasales et dans les larmes, une substance qui lyse certaines bactéries mais pas les leucocytes et qu'il dénomme lysozyme. Il poursuivra des recherches sur cette protéine mais n'ayant pas de formation de chimiste et n'ayant pas de support dans cette discipline il ne pourra la caractériser.
Ce travail se réalisera à Oxford dans le laboratoire de H.W. Florey et de ses collaborateurs qui joueront par la suite un rôle capital dans l'histoire de la pénicilline. Cette découverte d'un facteur lytique se révèle prépondérante dans la découverte de la pénicilline, même si le lysozyme se révèle inactif contre la plupart des pathogènes. En été 1928, Fleming effectue des recherches sur la grippe et le rhume. A son retour de vacances, il note dans une boite de Pétri une contamination fongique qui inhibe la croissance de bactéries. Il s'agit d'un Penicillium qui sera déterminé comme étant une souche de Penicillium notatum, puis ultérieurement dénommée P.chrysogenum. Il démontre que la substance est active contre toute une gamme de bactéries et la dénomme pénicilline. Il publie en détail ses observations en 1929 dans le "British Journal of Experimental Pathology", pensant que l'action de la pénicilline est du même type que celle du lysozyme. Ses collaborateurs, Craddock et Ridley, tentent en vain d'isoler la substance. Fleming montre peu d'intêret à une application thérapeutique et utilise surtout les extraits de ce Penicillium pour fabriquer des milieux sélectifs. Cependant quelques essais thérapeutiques sont effectués. Son collaborateur Craddock essaie sans succes de traiter par ce "jus" une infection nasale chronique. Un jeune étudiant du groupe est par contre traité avec succès d'une conjonctivite due à des pneumocoques. C.G. Paine, un ancien étudiant du St. Mary's Hospital, travaillant à la Royal Infirmary à Sheffield , obtient, en 1932, le champignon de Fleming et effectue quelques essais cliniques. Le développement de la pénicilline sommeille ensuite jusqu'à la fin des années 1930. La découverte de Flemimg n'intéresse pas grand monde. Fleming recherche d'autres microorganismes producteurs d'antibiotiques mais il ne publiera pas ses travaux.
Pendant ce temps, la découverte de l'activité antibactérienne du Prontosil par G. Domagk, en 1932, puis d'une partie de cette molécule, dénommée sulfanilamide, par J.Tréfouel et ses collègues à l'Institut Pasteur révolutionnent la chimiothérapie.
Une recherche systématique de substances produites par des microorganismes est poursuivie par R. Dubos (un élève de S. Waksman qui découvrira par la suite la streptomycine) et son équipe à l'institut de recherche médicale Rockeffeller à New-York. Il découvrira ainsi la tyrothricine en 1939. La thyrothricine est en fait le premier antibiotique déclaré comme substance thérapeutique, mais trop toxique elle ne pourra être utilisée que pour des infections externes. Waksman s'intéresse de plus en plus aux antibiotiques synthétisés par des actinomycètes. La puissance thérapeutique de la pénicilline ne sera mise en évidence qu'aux débuts des années 1940. Suite naturelle de leurs travaux sur le lyzozyme, le groupe d'Oxford conduit par H. Florey (1898-1968) et auquel appartient notamment le chimiste E. Chain (1906-1979), s'attaque au problème du rôle des antibiotiques. Ils choisissent, en 1938, plusieurs orientations de recherche: les produits de souches de Bacillus subtilis, de Pseudomonas pyocyanea et de Penicillium notatum, la souche de Fleming. Les travaux de Dubos et Waksman attirent l'attention de l'équipe de Florey. Ils se concentrent alors sur la pénicilline. Les travaux chimiques de Raistrick, qui participera plus tard à la découverte de la patuline et de la griséofulvine, leur servent de base. Les travaux d'extraction se révèlent longs et pénibles; le produit étant instable, l'extraction est réalisée à 4°C. Par rapport aux scientifiques précédents, ils eurent la possibilité de lyophiliser les extraits, un procédé qui se révèle capital. L'aide du talentueux biochimiste N.G. Heatley fut déterminante. Le premier extrait est testé sur des souris le 25 mai 1940. Il est actif bien que la concentration en pénicilline ne soit encore que de 1%. Par chance aucune des substances formant les 99% restant ne se montre toxique. Ils décident de produire la pénicilline en plus grande quantité ce qui se révèle très difficile dans cette période de guerre.
L'équipe reçut l'aide d'un chimiste supplémentaire, E. Abraham. Ces chercheurs parvinrent quand même à produire suffisamment de pénicilline pour leurs travaux de laboratoire et pour leurs premiers essais sur l'homme. Une des étapes décisives fut l'utilisation d'une nouvelle technique, la chromatographie par adsorption. Le premier article de l'équipe d' Oxford est publié dans le "Lancet" en 1940. Fleming vient rendre, en septembre 1940, visite à Florey et obtient un échantillon de pénicilline avec lequel il fera un essai thérapeutique couronné de succès. Après un premier échec sur un patient trop malade, l'utilisation de la pénicilline en thérapie humaine par l'équipe d'Oxford voit ses premiers succès. En 1941, paraît un second article publiant des résultats cliniques. Florey et Hardley quittent pour les Etats-Unis l'Angleterre où les conditions de travail sont devenues trop dures. Hardley poursuit ses travaux à Peoria, dans le département fédéral de l'agriculture où existait une expérience remarquable dans la culture de microorganismes. On y découvre que le "corn steep liquor" (liqueur de nutriment idéal pour le trempage du mais) est un Penicillium et surtout programme physiologique, augmente considérablement la production de pénicilline. En parallèle à ce se poursuit un producteur et un programme criblage d'autres souches de Penicillium dans l'espoir de découvrir un meilleur de M. Hunt, surnommée " Moldy mutation/sélection démarre. Une contribution importante fut faite par une dame de Peoria, Mary" (mold = champignon) pour son enthousiasme à chercher de nouvelles souches fongiques. Elle rapporte du marché un melon infecté par un champignon qui a un bel aspect jaune. La souche isolée produit plus du double de pénicilline que la souche de Fleming. Rapidement, on passe de 2 unités de pénicilline par litre à 900, puis les progrès se poursuivront sans arrêt jusqu'à nos jours. Durant la guerre, les recherches sur les techniques de production, sur la formule, et sur la synthèse chimique sont interdites de publication. Les informations circulent en grand secret entre Anglais et Américains sous le nom de code "Pen". Initialement, la production de pénicilline était réalisée en culture stationnaire, et des milliers de boites de Roux furent ainsi ensemencées. Une étape importante fut la mise au point du procédé en culture liquide agitée.
Après les premiers succès, plusieurs firmes pharmaceutiques aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne s'intéressent à la pénicilline et vont la produire en grandes quantités dès 1943.
La détermination de la structure de la pénicilline sera un des premiers succès de la cristallographie en rayons X. La synthèse chimique ne sera réalisée que plusieurs années après et ne sera jamais industriellement rentable, démentant certains experts qui considéraient que la production fermentaire de la pénicilline serait un échec.
La pénicilline va sauver la vie de milliers de soldats puis de millions de personnes. Pendant la guerre, avant l'utilisation de la pénicilline, soldats et civils meurent d'infection par milliers. Les grandes tueuses sont des bactéries qui pénètrent dans les plaies et provoquent une infection généralisée, notamment la mortelle gangrène gazeuse. A la fin de la guerre, l'utilisation de la pénicilline sera généralisée. La recherche pour de nouveaux antibiotiques va s'intensifier. Ensuite seront développées des pénicillines semi-synthétiques. Le développement de la pénicilline constitua la base des futurs développements de l'industrie de fermentation moderne et de la biotechnologie.
En 1945, Fleming, Florey et Chain recoivent le prix Nobel et seront ensuite anoblis. Il semble étonnant que lorsqu'on parle de pénicilline, on pense directement à Fleming et on oublie les autres chercheurs ayant participé activement à sa découverte. Le St Mary's Hospital avait besoin de soutien financier et effectua une publicité importante pour son collaborateur, A. Fleming.
L'histoire de la pénicilline démontre qu'une découverte est souvent une imbrication d'observations précédentes, de travaux dans plusieurs laboratoires, de collaborations diverses. Elle met aussi en évidence l'importance de l'observation, qualité trop souvent négligée de nos jours. Lorsque Fleming reçoit le titre de commandeur de la Légion d'Honneur du général de Gaulle, il déclare " On a dit que j'avais inventé la pénicilline. Elle n'a jamais été inventée car elle est produite depuis des temps immémoriaux par une moisissure. Mon seul mérite est d'avoir rendu le monde attentif à cette substance.".
Illustrations
photo1: Sir Alexander Fleming (1954) (Photo du St. Mary's Hospital)
photo 2: La fameuse boîte de Pétri de Fleming montrant le Penicillium inhibant la croissance de colonies de Staphylococcus aureus (Photo du St. Mary's Hospital)
photo 3: Souche de Penicillium chrysogenum, 1: phyalide, 2: spore (photo en microscopie électronique à balayage)
photo 4 : Lord Howard Florey (peint par C.Deane)
photo 5 : Sir Ernst Chain (1945). A gauche on aperçoit une colonne chromatographique pour le purification de la pénicilline.